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19 novembre 2008

Recevez une lettre d'Edgar Morin...

Il y a un temps où les "camps", appareils, personnalités de premier plan parlaient en direct avec les philosophes qui les inspiraient. Chaque camp avait ses sources d'inspiration compatibles avec ses idéologies. Ce qui rendait bien intelligents d'ailleurs ces mêmes dirigeants face aux citoyens. En dehors des livres, les gens avaient peu de chance de suivre ces conversations, ces échanges, ces visions offertes aux constructeurs de l'avenir. Et puis, voilà, nous sommes au 21ème siècle, à l'ère d'internet, l'ère d'un brassage de visions, d'informations, de nouvelles convergences, et enfin, de la culture gratuite qui nous enlève nos oeillères, tirent nos consciences vers le haut. Edgar Morin écrit à SR, MA et BH, et c'est nous qui recevons la lettre ! Merci la toile de ces cadeaux ;-).

Que SR, MA, BH prennent le temps de la lire, en ce moment rien n'est moins sûr, mais nous, comptez sur nous !

Alors, nous allons la partager et nous allons y penser, puis en parler ici ou ailleurs.

Je vous la livre : (et je commence par la conclusion, toute la suite ci-dessous)

"Les redresseurs d'espérance

II s'agit de repenser, reformuler en termes adéquats le développement humain (et ici encore en respectant et intégrant l'apport des cultures autres que l'occidentale).

Nous avons à prendre conscience de l'aventure folle qui nous entraîne vers la désintégration, et nous devons chercher à contrôler le processus afin de provoquer la mutation vitalement nécessaire. Nous sommes dans un combat formidable entre solidarité ou barbarie. Nous sommes dans une histoire instable et incertaine où rien n'est encore joué.

Sauver la planète menacée par notre développement économique. Réguler et contrôler le développement technique. Assurer un développement humain. Civiliser la Terre. Voilà qui prolonge et transforme l'ambition socialiste originelle. Voilà des perspectives grandioses apte à mobiliser les énergies. A nouveau, et en termes dramatiques se pose la question : que peut-on espérer ?

Les processus majeurs conduisent à la régression ou la destruction. Mais celles-ci ne sont que probables. L'espérance est dans l'improbable, comme toujours dans les moments dramatiques de l'histoire où tous les grands événements positifs ont été improbables avant qu'ils adviennent : la victoire d'Athènes sur les Perses en 490-480 avant notre ère, d'où la naissance de la démocratie, la survie de la France sous Charles VII, l'effondrement de l'empire hitlérien en 1941, l'effondrement de l'empire stalinien en 1989.

L'espérance se fonde sur les possibilités humaines encore inexploitées et elle mise sur l'improbable. Ce n'est plus l'espérance apocalyptique de la lutte finale. C'est l'espérance courageuse de la lutte initiale : elle nécessite de restaurer une conception, une vision du monde, un savoir articulé, une éthique. Elle doit animer, non seulement un projet, mais une résistance préliminaire contre les forces gigantesques de barbarie qui se déchaînent. Ceux qui relèveront le défi viendront de divers horizons, peu importe sous quelle étiquette ils se rassembleront. Mais ils seront les porteurs contemporains des grandes aspirations historiques qui ont pendant un temps nourri le socialisme. Ce seront les redresseurs de l'espérance. "


Vrai début de la lettre (en entier) :

" La conception marxienne de l'homme était unidimensionnelle et pauvre : ni l'imaginaire ni le mythe ne faisaient partie de la réalité humaine profonde : l'être humain était un Homo faber, sans intériorité, sans complexités, un producteur prométhéen voué à renverser les dieux et maîtriser l'univers. Alors que, comme l'avaient vu Montaigne, Pascal, Shakespeare, homo est sapiens démens, être complexe, multiple, portant en lui un cosmos de rêves et de fantasmes.

La conception marxienne de la société privilégiait les forces de production matérielles ; la clé du pouvoir sur la société était dans l'appropriation des forces de production ; les idées et idéologies, dont l'idée de Nation, n'étaient que de simples et illusoires super- structures ; l'Etat n'était qu'un instrument aux mains de la classe dominante ; la réalité sociale était dans le pouvoir de classes et la lutte des classes ; le mot de capitalisme suffisait pour rendre compte de nos sociétés en fait multidimensionnelles. Or aujourd'hui, comment ne pas voir qu'il y a un problème spécifique du pouvoir d'Etat, une réalité sociomythologique formidable dans la nation, une réalité propre des idées ? Comment ne pas voir les caractères complexes et multidimensionnels de la réalité anthroposociale ?

Marx croyait en la rationalité profonde de l'histoire ; il croyait le progrès scientifiquement assuré, il était certain de la mission historique du prolétariat pour créer une société sans classes et un monde fraternel. Aujourd'hui, nous savons que l'histoire ne progresse pas de façon frontale mais par déviances, se fortifiant et devenant tendances. Nous savons que le progrès n'est pas certain et que tout progrès gagné est fragile. Nous savons que la croyance dans la mission historique du prolétariat est non scientifique mais messianique : c'est la transposition sur nos vies terrestres du salut judéo-chrétien promis pour le ciel après la mort. Cette illusion a sans doute été la plus tragique et la plus dévastatrice de toutes.

Beaucoup d'idées de Marx sont et resteront fécondes. Mais les fondements de sa pensée sont désintégrés. Les fondements, donc, de l'espérance socialiste sont désintégrés. A la place, il n'y a plus rien sinon quelques formules litaniques et un pragmatisme au jour le jour. A une théorie articulée et cohérente a succédé une salade russe d'idées reçues sur la modernité, l'économie, la société, la gestion. Les dirigeants s'entourent d'experts, énarques, technocrates, éconocrates. Ils se fient au savoir parcellaire des experts qui leur semble garanti (scientifiquement, universitairement). Ils sont devenus aveugles aux formidables défis de civilisation, à tous les grands problèmes. La consultation permanente des sondages tient lieu de boussole. Le grand projet a disparu.

La conversion du socialisme à la bonne gestion ne put être qu'une réduction au gestionnarisme : celui-ci, en se vouant au jour le jour, a aussi sapé les fondements de l'espérance, d'autant plus que la gestion ne peut résoudre les problèmes les plus criants.

L'insuffisante modernisation

Le débat archaïsme/modernisme est faussé par le double sens de chacun de ces termes. Si l'archaïsme signifie répétition litanique de formules creuses sur la supériorité du socialisme, les vertus de l'union de la gauche, l'appel aux " forces de progrès ", alors il faut briser avec cet archaïsme. S'il signifie le ressourcement dans les aspirations à un monde meilleur, alors il faut examiner si et comment on peut répondre à ces aspirations. Si le modernisme signifie s'adapter au présent, alors il est radicalement insuffisant car il s'agit de s'adapter au présent pour essayer de l'adapter à nos besoins. S'il signifie affronter les défis du temps présent, alors il faut être résolument moderne. De toutes façons, il ne s'agit pas seulement de s'adapter au présent. Il s'agit en même temps de préparer l'avenir. Enfin, signalons que le moderne, dans le sens où il signifie croyance au progrès garanti et en l'infaillibilité de la technique, est déjà dépassé.

Il est certain désormais qu'il faut abandonner toute Loi de l'histoire, toute croyance providentielle au Progrès, et extirper la funeste foi dans le salut terrestre. Il faut savoir que, tout en obéissant à divers déterminismes (qui du reste s'entrechoquent souvent et provoquent du chaos), l'histoire est aléatoire, connaît des bifurcations inattendues. Il faut savoir que l'action de gouverner est une action au gouvernail, où l'art de diriger est un art de se diriger dans des conditions incertaines qui peuvent devenir dramatiques. Le principe premier de l'écologie de l'action nous dit que tout acte échappe aux intentions de l'acteur pour entrer dans le jeu des interrétroactions du milieu, et il peut déclencher le contraire de l'effet souhaité.

II nous faut une pensée apte à saisir la multidimensionnalité des réalités, à reconnaître le jeu des interactions et rétroactions, à affronter les complexités plutôt que de céder aux manichéismes idéologiques ou aux mutilations technocratiques (qui ne reconnaissent que des réalités arbitrairement compartimentées, sont aveugles à ce qui n'est pas quantifiable, et ignorent les complexités humaines). Il nous faut abandonner la fausse rationalité. Les besoins humains ne sont pas seulement économiques et tehniques, mais aussi affectifs et mythologiques.

De l'homme prométhéen à l'homme prometteur

La perspective originelle du socialisme était anthropologique (concernant l'homme et son destin), mondiale (internationaliste), et civilisatrice (fraterniser le corps social, supprimer la barbarie de l'exploitation de l'homme par l'homme). On peut et doit se ressourcer dans ce projet, tout en en modifiant les termes.

L'homme de Marx devait trouver son salut en se " désaliénant ", c'est-à-dire en se libérant de tout ce qui était étranger à lui-même, et en maîtrisant la nature. L'idée d'un homme " désaliéné " est irrationnelle : autonomie et dépendance sont inséparables, puisque nous dépendons de tout ce qui nous nourrit et nous développe ; nous sommes possédés par ce que nous possédons : la vie, le sexe, la culture. Les idées de libération absolue, de conquête de la nature, du salut sur terre, relèvent d'un délire abstrait.

De plus, l'expérience historique de notre siècle a montré qu'il ne suffit pas de renverser une classe dominante ni d'opérer l'appropriation collective des moyens de production pour arracher l'être humain à la domination et à l'exploitation. Les structures de la domination et de l'exploitation ont des racines à la fois profondes et complexes, et c'est en s'attaquant à toutes les faces du problème que l'on pourra espérer quelques progrès.

Nous ne pourrons éliminer le malheur ni la mort, mais nous pouvons aspirer à un progrès dans les relations entre humains, individus, groupes, ethnies, nations. L'abandon du progrès garanti par les " lois de l'histoire " n'est pas l'abandon du progrès, mais la reconnaissance de son caractère non certain et fragile. Le renoncement au meilleur des mondes n'est nullement le renoncement à un monde meilleur. Est-il possible d'envisager, dans cette perspective, une politique qui aurait pour tâche de poursuivre et développer le processus de l'hominisation dans le sens d'une amélioration des relations entre humains et d'une amélioration des sociétés humaines ?

Nous savons aujourd'hui que les possibilités cérébrales de l'être humain sont encore en très grande partie inexploitées. Nous sommes encore dans la préhistoire de l'esprit humain. Comme les possibilités sociales sont en relation avec les possibilités cérébrales, nul ne peut assurer que nos sociétés aient épuisé leurs possibilités d'amélioration et de transformation et que nous soyions arrivés en la fin de l'Histoire... Ajoutons que les développements de la technique ont rétréci la Terre, permettent à tous les points du globe d'être en communication immédiate, donnent les moyens de nourrir toute la planète et d'assurer à tous ses habitants un minimum de bien-être.

Mais les possibilités cérébrales de l'être humain sont fantastiques, non seulement pour le meilleur, mais aussi pour le pire ; si Homo sapiens démens avait dès l'origine le cerveau de Mozart, Beethoven, Pascal, Pouchkine, il avait aussi celui de Staline et Hitler... Si nous avons la possibilité de développer la planète, nous avons aussi la possibilité de la détruire.

De l'internationale à la terre-patrie

Ainsi il n'y a pas de progrès assuré, mais une possibilité incertaine, qui dépend beaucoup des prises de conscience, des volontés, du courage, de la chance... Et les prises de conscience sont devenues urgentes et primordiales. La possibilité anthropologique et sociologique de progrès restaure le principe d'espérance, mais sans certitude " scientifique ", ni promesse " historique ".

La pensée socialiste voulait situer l'homme dans le monde. Or la situation de l'homme dans le monde s'est plus modifiée dans les trente dernières années qu'entre le XVI et le début du XX siècle. La terre des hommes a " paumé " son ancien univers ; le Soleil est devenu un astre lilliputien parmi des milliards d'autres dans un univers en expansion ; la Terre est perdue dans le cosmos ; c'est une petite planète de vie tiède dans un espace glacé où des astres se consument avec une violence inouïe et où des trous noirs s'autodévorent.

C'est seulement dans cette petite planète qu'il y a, à notre connaissance, une vie et une pensée consciente. C'est le jardin commun à la vie et à l'humanité. C'est la Maison commune de tous les humains. Il s'agit de reconnaître notre lien consubstantiel avec la biosphère et d'aménager la nature. Il s'agit d'abandonner le rêve prométhéen de la maîtrise de l'univers pour l'aspiration à la convivialité sur terre.

Cela semble possible puisque nous sommes dans l'ère planétaire où toutes les parties sont devenues interdépendantes les unes des autres. Mais c'est la domination, la guerre, la destruction qui ont été les artisans principaux de l'ère planétaire. Nous sommes encore à l'âge de fer planétaire. Toutefois, dès le XIX siècle, la socialisme a lié la lutte contre les barbaries de domination et d'exploitation à l'ambition de faire de la terre la grande patrie humaine.

Mais la nouvelle pensée planétaire, qui prolonge l'internationalisme, doit rompre avec deux aspects capitaux de celui-ci : l'universalisme abstrait : " les prolétaires n'ont pas de patrie " ; le révolutionnarisme abstrait : " du passé faisont table rase ".

Il nous faut comprendre à quels besoins formidables et irréductibles correspond l'idée de nation. Il nous faut, non plus opposer l'universel aux patries, mais lier concentriquement nos patries, familiales, régionales, nationales, européennes, et les intégrer dans l'univers concret de la patrie terrienne. Il ne faut plus opposer un futur radieux à un passé de servitudes et de superstitions. Toutes les cultures ont leurs vertus, leurs expériences, leurs sagesses, en même temps que leurs carences et leurs ignorances. C'est en se ressourçant dans son passé qu'un groupe humain trouve l'énergie pour affronter son présent et préparer son futur. La recherche d'un avenir meilleur doit être complémentaire et non plus antagoniste avec les ressourcements dans le passé. Le ressourcement dans le passé culturel est pour chacun une nécessité identitaire profonde, mais cette identité n'est pas incompatible avec l'identité proprement humaine en laquelle nous devons également nous ressourcer. La patrie terrestre n'est pas abstraite, puisque c'est d'elle qu'est issue l'humanité.

Le propre de ce qui est humain est l'unitas multiplex : c'est l'unité génétique, cérébrale, intellectuelle, affective d'Homo sapiens démens qui exprime ses virtualités innombrables à travers la diversité des cultures. La diversité humaine est le trésor de l'unité humaine, laquelle est le trésor de la diversité humaine.

De même qu'il faut établir une communication vivante et permanente entre passé, présent, futur, de même il faut établir une communication vivante et permanente entre les singularités culturelles, ethniques, nationales et l'univers concret d'une terre patrie de tous. Alors s'impose à nous l'impératif : civiliser la terre, solidariser, confédérer l'humanité, tout en respectant les cultures et les patries. Mais ici se dressent des formidables défis et menaces inconcevables au XIX siècle. Le monde était alors livré aux anciennes barbaries qu'avait déchaînées l'histoire humaine : guerres, haines, cruautés, mépris, fanatismes religieux et nationaux. La science, la technique, l'industrie semblaient porter dans leur développement même l'élimination de ces vieilles barbaries et le triomphe de la civilisation.

D'où la foi assurée dans le progrès de l'humanité, en dépit de quelques accidents de parcours.

Aujourd'hui, il apparaît de plus en plus clairement que les développements de la science, de la technique, de l'industrie sont ambivalents, sans qu'on puisse décider si le pire ou le meilleur d'entre elles l'emportera. Les prodigieuses élucidations qu'apporté la connaissance scientifique sont accompagnées par les régressions cognitives de la spécialisation qui empêche de percevoir le contextuel et le global. Les pouvoirs issus de la science sont non seulement bienfaisants, mais aussi destructeurs et manipulateurs. Le développement techno-économique, souhaité par et pour l'ensemble du monde, a révélé presque partout ses insuffisances et ses carences.

Et voici des formidables défis qui se posent en chaque société et pour l'humanité tout entière : 
l'insuffisance du développement techno-économique, 
la marche accélérée et incontrôlée de la techno-science, 
les développements hypertrophiés de la techno-bureaucratie, 
les développements hypertrophiés de la marchandisation et de la monétarisation de toute chose, 
les problèmes de plus en plus graves posés par l'urbanisation du monde.

Ce à quoi il faut ajouter : 
les dérèglements économiques et démographiques, 
les régressions et piétinements démocratiques, 
les dangers conjoints d'une homogénéisation civilisationnelle qui détruit les diversités culturelles et d'une balkanisation des ethnies qui rend impossible une civilisation humaine commune.

Ici se pose le problème de civilisation.

La politique de civilisation

En reprenant et développant le projet de la Révolution française, concentré dans la devise trinitaire Liberté, Egalité, Fraternité, le socialisme proposait une politique de civilisation, vouée à supprimer la barbarie des rapports humains : l'exploitation de l'homme par l'homme, l'arbitraire des pouvoirs, l'égocentrisme, l'ethnocentrisme, la cruauté, l'incompréhension. Il se vouait à une entreprise de solidarisation de la société, entreprise qui a eu certaines réussites par la voie étatique (Welfare State), mais qui n'a pu éviter la désolidarisation généralisée des relations entre individus et groupes dans la civilisation urbaine moderne.

Le socialisme s'était voué à la démocratisation de tout le tissu de la vie sociale ; sa version " soviétique " a supprimé toute démocratie et sa version social-démocrate n'a pu empêcher les régressions démocratiques qui pour des raisons diverses rongent de l'intérieur nos civilisations.

Mais surtout un problème de fond est posé par et pour ce qui semblait devoir apporter un progrès généralisé et continu de civilisation. Au-delà du malaise dans lequel, selon Freud, toute civilisation développe en elle les ferments de sa propre destruction, un nouveau malaise de civilisation s'est creusé. Il vient de la conjonction des développements urbains, techniques, bureaucratiques, industriels, capitalistes, individualistes de notre civilisation.

Le développement urbain n'a pas seulement apporté épanouissements individuels, libertés et loisirs, mais aussi l'atomisation consécutive à la perte des anciennes solidarités et la servitude de contraintes organisationnelles proprement modernes (le métro-boulot-dodo).

Le développement capitaliste a entraîné la marchandisation généralisée, y compris là où régnait le don, le service gratuit, les biens communs non monétaires, détruisant ainsi de nombreux tissus de convivialité.

La technique a imposé, dans des secteurs de plus en plus étendus de la vie humaine, la logique de la machine artificielle qui est mécanique, déterministe, spécialisée, chronométrisée. Le développement industriel apporte non seulement l'élévation des niveaux de vie, mais aussi des abaissements des qualités de vie, et les pollutions qu'il produit ont commencé à menacer la biosphère.

Ce développement qui semblait providentiel à la fin du siècle passé comporte désormais deux menaces sur les sociétés et les êtres humains : l'une extérieure vient de la dégradation écologique des milieux de vie ; l'autre, intérieure, vient de la dégradation des qualités de vie. Le développement de la logique de la machine industrielle dans les entreprises, les bureaux, les loisirs tend à répandre le standart et l'anonyme, et par là à détruire les convivialités.

L'essor des nouvelles techniques, notamment informatiques provoque perturbations économiques et chômages, alors qu'il pourrait devenir libérateur à condition d'accompagner la mutation technique par une mutation sociale.

Dans ce contexte, la crise du progrès et les incertitudes du lendemain soit réduisent le vivre à un " au jour le jour ", soit transforment les ressourcements en fondamentalismes ou nationalismes clos. D'où les gigantesques problèmes de civilisation qui nécessiteraient mobilisation pour : humaniser la bureaucratie, humaniser la technique, défendre et développer les convivialités, développer les solidarités. Tous ces défis, le défi anthropologique, le défi planétaire, le défi civilisationnel, se lient dans le grand défi que lance à notre fin de siècle, partout dans le monde, l'alliance des deux barbaries, l'ancienne barbarie venue des fonds des âges, plus virulente que jamais, et la nouvelle barbarie glacée, anonyme, mécanisée, quantifiante. Aujourd'hui, la prise de conscience de la communauté de destin terrestre et de notre identité terrienne rejoint la prise de conscience des problèmes globaux et fondamentaux qui se posent à toute l'humanité.

Aujourd'hui, nous sommes dans l'ère damocléenne des menaces mortelles, avec des possibilités de destruction et d'autodestruction, y compris psychiques, qui, après le court répit des années 89-90, se sont aggravées de nouvelle manière.

La planète est en détresse : la crise du progrès affecte l'humanité entière, entraîne partout des ruptures, fait craquer les articulations, détermine les replis particularistes ; les guerres se rallument ; le monde perd la vision globale et le sens de l'intérêt général.

Civiliser la terre, transformer l'espèce humaine en humanité, devient l'objectif fondamental et global de toute politique aspirant non seulement à un progrès, mais à la survie de l'humanité. Il est dérisoire que les socialistes, frappés de myopie, cherchent à " aggiornamenter ", moderniser, social-démocratiser, alors que le monde, l'Europe, la France sont affrontés aux problèmes gigantesques de la fin des Temps modernes.

Les redresseurs d'espérance

II s'agit de repenser, reformuler en termes adéquats le développement humain (et ici encore en respectant et intégrant l'apport des cultures autres que l'occidentale).

Nous avons à prendre conscience de l'aventure folle qui nous entraîne vers la désintégration, et nous devons chercher à contrôler le processus afin de provoquer la mutation vitalement nécessaire. Nous sommes dans un combat formidable entre solidarité ou barbarie. Nous sommes dans une histoire instable et incertaine où rien n'est encore joué.

Sauver la planète menacée par notre développement économique. Réguler et contrôler le développement technique. Assurer un développement humain. Civiliser la Terre. Voilà qui prolonge et transforme l'ambition socialiste originelle. Voilà des perspectives grandioses apte à mobiliser les énergies. A nouveau, et en termes dramatiques se pose la question : que peut-on espérer ?

Les processus majeurs conduisent à la régression ou la destruction. Mais celles-ci ne sont que probables. L'espérance est dans l'improbable, comme toujours dans les moments dramatiques de l'histoire où tous les grands événements positifs ont été improbables avant qu'ils adviennent : la victoire d'Athènes sur les Perses en 490-480 avant notre ère, d'où la naissance de la démocratie, la survie de la France sous Charles VII, l'effondrement de l'empire hitlérien en 1941, l'effondrement de l'empire stalinien en 1989.

L'espérance se fonde sur les possibilités humaines encore inexploitées et elle mise sur l'improbable. Ce n'est plus l'espérance apocalyptique de la lutte finale. C'est l'espérance courageuse de la lutte initiale : elle nécessite de restaurer une conception, une vision du monde, un savoir articulé, une éthique. Elle doit animer, non seulement un projet, mais une résistance préliminaire contre les forces gigantesques de barbarie qui se déchaînent. Ceux qui relèveront le défi viendront de divers horizons, peu importe sous quelle étiquette ils se rassembleront. Mais ils seront les porteurs contemporains des grandes aspirations historiques qui ont pendant un temps nourri le socialisme. Ce seront les redresseurs de l'espérance. "

Edgar Morin : Lettre à Ségolène, Martine, Bertrand et Benoît. Trouvée ici et ici.

Commentaires

Edgar Morin mérite d'être lu, même par des ... enfin, on ne comprend plus bien à qui il s'adresse, mais au fond, ça n'a pas d'importance : c'est à nous tous, grâce à toi, Quitterie.

Écrit par : Hervé Torchet | 19 novembre 2008

Edgar Morin n'est pas ma tasse de thé
Désolé

Pierre

Écrit par : ulm pierre | 19 novembre 2008

A l'inverse de Pierre, je place Edgar Morin parmi les plus grands de notre temps.
Merci du relais! J'ai imprimé cette lettre et vais la déguster avec joie et espoir.

Écrit par : GuillaumeD | 19 novembre 2008

@ Cher Guillaume

Je respecte bien entendu ton choix mais je n'arrive pas à avoir cette tendresse qui accompagnerait mon admiration dans sa pensée.

On parle bien du même Morin Edgar pas de Morin Hervé.(lol).

En grêve demain ???????

Pierre

Écrit par : ulm pierre | 19 novembre 2008

Cher Pierre,
oui, on parle du même! ;-))

ET OUI, EN GREVE DEMAIN !!!!!!!

Un professeur qui est au courant de ce qui se prépare est forcément pour cette grêve. C'est un quasi-démantèlement de l'enseignement public que l'on s'apprête à subir! Et davantage au détriment des enfants et des jeunes que des enseignants! Je suis dans le privé, et ça me choque viscéralement!

Écrit par : guillaumeD | 19 novembre 2008

Un mot pour condamner l'attitude de Villepin dont vous chantiez les louanges morales il y a peu ?

Le Monde:

Clearstream : selon les juges, Villepin aurait souhaité "l'élimination" d'un "rival politique"

Quelle crapule !

"complicité de dénonciation calomnieuse, complicité d'usage de faux, recel d'abus de confiance et recel de vol."

Écrit par : Clearstream | 19 novembre 2008

@ cleartsream

Un mot pour condamner les hyènes quand elles se déguisent en corbeaux.

Écrit par : Hervé Torchet | 19 novembre 2008

VOTEZ BESANCENOT !

Olivier est le seul homme intègre dans cette classe politique pourrie, les Villepin Dassault et même acabits à poils longs ou courts.

Le MODEM est dans la main du Capital:

** PEYRELAVDE ancien président d'une grande banque magouilleuse,

** QUITTERIE copine de l'affairiste DASSAULT représentant du complexe militaro-industriel qui détruit la planète, tue des femmes et des enfants partout dans le monde

Où est la morale du MODEM quand on siège main dans la main avec Dassault sans s'élever contre sa présence honorifique dans un jury ?

Les grandes banques, les marchands d'armes, voilà les copains du MODEM et de sa représentante.

OLIVIER BESANCENOT est la seule alternative.

Écrit par : REVOLUTION | 19 novembre 2008

Moi aussi en grève demain.

Tout me tue dans la méthodes et les réformes du bon ministre Darcos: supression des RASED qu'on balance comme un ballon sonde dans l'opinion pour savoir jusqu'où il peut aller sans exploser, location des services d'une agence de publicité pour exposer la réforme du lycée aux lycéens, argumentaire fallacieux qui consiste à dire que la réduction des effectifs est nécessaire au pro rata du nombre d'élèves et de la baisse démographique (malgré le baby boom de l'année 2000 et suivantes qui arrive au collège dans 3 ans et malgré tout ce qu'on sait de la violence scolaire en augmentation!), lycée modulaire qui autorise le consumérisme et encourage la facilité, réforme des programmes de l'école primaire 2008 dans lesquels "on revient aux fondamentaux", la belle supercherie quand on sait que 15% d'élèves sont incapables de les acquérir.
Déclarations d'intention, blabla, courtisanerie, hypocrisie.

Et pendant ce temps, les réformes dont nous avons besoin ne sont ni débattues, ni décidées, et rien ne bouge car on a tous pris l'habitude de faire de la résistance molle à tout ce qu'on nous propose...
Les profs sont responsables en grande part de ce qui arrive au système car soit, ils sont gauchistes et s'opposent par principe, ce qui ne peut plus convaincre personne, soit ils sont léthargiques parce qu'ils ont perdu toutes leurs forces de proposition: ce métier use, réellement, sauf ceux qui mangent du lion tous les matins et se revêtent de leur enthousiasme militant!
Désolée de m'être laissée emporter...

Après la manif, promis, j'aurai le temps de lire Morin!

Écrit par : Mapie | 19 novembre 2008

Hey, Révolution! Tu peux pas aller la faire ailleurs?
Bon vent et bonjour au Che de ma part. Si tu le vois, dis-lui de me rendre mon peigne!

Écrit par : Mapie | 19 novembre 2008

Je me permet de laisser ce commentaire qui en déroutera certains.

La société est arrivé à un tel niveau de décrépitude qu'il est difficile d' envisager d'autres moyens que le recours à l'action collective pouvant déboucher sur des actes qualifiés de violent qui sont en fait uniquement contestataires envers le système et qui devraient être considérés comme tels...Le tout sécuritaire a pour conséquence l'amenuisement de ces actes politiques notamment à cause de la pression qu'exerce les patrons sur les salariés (de plus en plus mal payés) qui sont incités à ne pas faire grève par des compensations douteuses en matière de rémunération par exemple.
L'argent est le maître mot comme vous dîtes, il a contribué à cette individualisation forcenée de notre société désormais encore plus aliénante.

Le problème majeur est que les gens sont résignés voilà tout depuis la chute du mur de Berlin. Avant, l'engagement politique servait à quelque chose, dans un monde bipolaire les objectifs étaient identifiables maintenant il n'en est quasiment rien, nos actes sont pour la plupart des actes isolés sans portée (mis à part morale éventuellement).
Le système nous paralyse et nous avons plus que nos idéaux pour survivre.

N' y voyez là aucun pessimisme, mais juste une nécessité de révolutionner le système (en commencent par l'éducation et la santé). Reste à trouver les moyens que déjà certains ont tenté sans succès, la voie reste ouverte... la créativité qui sommeille en nous sera indispensable dans cette perspective alors si un jour vous prenez conscience de cette nécessité au modem faites le moi savoir.

Vous avez la chance d'être un parti démocratique contrairement au NPA, je peux me tromper, qui donne l'impression d'être un parti d'aparatchiks avec des intellectuels qui rêvent du grand soir pour assouvir leurs fantasmes (ce qui n'est pas constructif et encore moins réalisable) - verdict partiel en janvier lors de sa création où la direction fixera les objectifs et tout ce qui va avec -

Sinon votre intervention du soir au café était intéressante de même que celle de M. Honoré - actif sur le terrain si j'en crois ses paroles, fait-il du porte à porte chez les particuliers à l'improviste :) ? - et un troisième monsieur dont j'ai oublié le nom choqué à juste titre des paroles de ce M. Vaneste, ce petit c.. ecervelé dont j'ignorais l'existence jusqu'alors.

Toujours cordialement et c'est un plaisir de lire vos articles avec votre "approche" humaniste, prosaique aussi, des évènements.

Écrit par : Mirko | 19 novembre 2008

Et bien sûr demain venez nombreux à la manif !

Écrit par : Mirko | 19 novembre 2008

Revolution et clearstream : qui que vous soyez avec vos adresses IP anonymes, je vous en prie, faîtes vous plaisir.
Quel courage. Quelle analyse ! Je pense à vous, quelle frustration pousse à écrire de telles conneries ?
Sans rancune, ce n'est que de la politique, ;-) au sens où vous l'entendez. Allez, go, je sais que vous pouvez faire "encore" mieux.

En vrai de vrai, merci Mirko et Mapie ;-), ça fait aussi du bien de vous lire !

Écrit par : Quitterie | 20 novembre 2008

"OLIVIER BESANCENOT est la seule alternative"

Gardez-le pour vous !

Il est tellement bien, ne le partagez pas !

Je préfère Dassault, de loin. :-)

C'est très bien que Quitterie commence à faire l'union nationale dans un jury littéraire et politique, à défaut de l'avoir fait en devenant Secrétaire d'Etat de NS.

Il ne faut pas la critiquer pour une fois qu'elle cesse de s'opposer à tout. :-))

Écrit par : En passant | 20 novembre 2008

@ Guillaume D

Bien reçu ton message 5 sur 5
Oui les enfants et les jeunes ,ce n'est pas rien

Finalement le Ministre ne sait pas faire une règle de trois et se trompe dans les euros...

Alors doit-il retourner... en 3°section de maternelle...avec un paquet de couches....

Bonne journée.

Pierre

Écrit par : ulm pierre | 20 novembre 2008

@ Il y en a...

Il y en a qui se prennent pour des cowboys,le fusil d'un côté,la bible de l'autre; et en avant ,on va tuer les Indiens.Le problème c'est que les Indiens,c'est nous!

Je suis un enfant de la deuxième moitié du 20° siécle
et n'ai pas peur de décliner sans arrêt ces vers d'Aragon:

Ce qu'on fait de vous,hommes,femmes
O pierre tendtre tôt usée
Et vos apparences brisées
Vous regarder m'arrache l'âme

Aragon

Pierre

Écrit par : ulm pierre | 20 novembre 2008

Quand Medvedev se moque de Sarkozy.

Le très court passage était passé inaperçu. Il vaut pourtant le détour. Lors de sa conférence de presse devant le Conseil des relations étrangères, le 16 novembre dernier, le président russe Dmitri Medvedev s’est lancé dans une imitation assez cocasse de Nicolas Sarkozy. L’insolent a d’abord plaisanté sur l’attirance de notre Président vers les lumières de la scène. Puis, encouragé par les rires de l’auditoire, Dmitri Medvedev poursuit son show en balançant la tête d’avant en arrière et en mimant de grands gestes. Toutes les personnes présentes ont reconnu le Français…

Sarkozy est bien une star mondiale.

http://desourcesure.com/politiqueaffaires/2008/11/quand_medvedev_se_moque_de_sar.php

Écrit par : BA | 20 novembre 2008

J'ai donné la première vidéo de l'intervention de Quitterie hier soir sur mon blog ce matin.

Écrit par : Hervé Torchet | 20 novembre 2008

Rien n'a changé depuis les années Déclic. Quelle chieuse prétentieuse!

Écrit par : DS | 20 novembre 2008

Mort de rire ! Agoravox est en train de couler...

Olivier Bonnet me fait une demande d'ami sur Facebook quand il n'a jamais pris cause pour moi quand Revelli me censurait systématiquement.

Le bateau fait voie d'eau et les rats quittent le navire...hi hi hi !

m'en fous...

Écrit par : Demy | 20 novembre 2008

Edgar Morin comprend le monde et l'humain. Sa pensée complexe est une clé essentielle, sinon la seule, pour entamer cette métamorphose à laquelle l'humanité ne peut plus échapper sans disparaître. C'est aussi simple que cela.

(Ça se voit que je suis fan?)

Merci Quitterie :).

Écrit par : Aurélien | 20 novembre 2008

J'ai donné ce soir une deuxième vidéo de Quitterie sur mon blog, où elle explique que la force de l'humanisme est dans la société civile et sur Internet.

Écrit par : Hervé Torchet | 20 novembre 2008

@ Message à moi même..

Merci pour tous ceux qui ont oublié ( dont moi ) de parler hier de la journée internationale des doits de l'Enfant.

Pierre

Écrit par : ulm pierre | 21 novembre 2008

Amitiés virtuelles à Aurélien.
Tant de gens de tant de disciplines pensent ce genre de choses (incertitude, complexité, participation, intrication, etc), et la fatuité et l'ignorance crasse de presque tous les "grands" leaders politiques actuels, fait que l'élastique se tend.
A la fin, puisqu'ils se refusent à la modestie et à devenir membres de la Cité sous prétexte de vouloir la dominer par la force et le mensonge, c'est dans leur oeil qu'il arrivera l'élastique trop tiré quand il cèdera.

Jean-Marc

Écrit par : xyz | 21 novembre 2008

Jean-Marc,
vous avez raison. Le hic c'est que ça risque d'être violent (nous n'avons jamais su changer en douceur).
MD

Écrit par : ManuD | 21 novembre 2008

Désolés d'interrompre ce programme fort intéressant, mais la lettre de notre Doge Nicolo à Francesco vient de paraître !

Écrit par : Les Vénitiens | 21 novembre 2008

http://www.lepost.fr/article/2008/11/21/1333254_deila-vogur-actrice_1_0_1.html

Écrit par : Demy | 21 novembre 2008

Pour deviner l'avenir d'Agoravox, il suffit de voir le sort que le public a réservé à Bigard qui frimait avec la théorie du complot autour du 11/9.

Il aurait été manifestement perçu comme un révisionniste par son public qui l'a lâché et par toute la Presse.

Et c'est ce qui se passe avec Agoravox qui a fait son lit de cette théorie bidon pour rameuter de l'audience. Ca ne marche pas et les lecteurs ne sont pas des cons.

C'est ainsi, et selon le choix de son fondateur que Agoravox se retrouve dans le réduit des idées extrémistes dont personne ne veut hormis quelques asociaux ou marginaux pour lesquels il faut avoir quelque compassion, en tant qu'ils sont des victimes de la désinformation.

Demian dit que le "journalisme citoyen" n'est citoyen et il n'existe que s'il sait se délaisser de ses pulsions de désinformation sans avenir.

Revelli a tout fait faux et que des conneries...

Écrit par : Demy | 22 novembre 2008